Comment Arnaud Montebourg a cultivé sa propre ligne économique
Par Les Décodeurs
La contestation par Arnaud Montebourg de la politique de l’offre de l’exécutif a fini par provoquer, lundi 25 août, la démission du gouvernement de Manuel Valls. Une nouvelle équipe ministérielle doit être composée mardi par le premier ministre. M. Montebourg a peu de chances de figurer sur cette nouvelle liste, tant sa vision de l’économie paraît antagoniste avec celle du chef de l’Etat.
Les divergences ne sont pas nouvelles. Le 10 juillet dernier, Arnaud Montebourg avait présenté trente mesures pour le « redressement économique de la France »,adoptant un ton volontariste. Des propositions qui rappelaient ses principaux engagements depuis 2012.
Lire notre décryptage: Euro, Tafta, industrie : trois affirmations de Montebourg décryptées
1. Le « made in France » et le pari de la réindustrialisation
Depuis la primaire socialiste, où il a imposé son thème de la démondialisation, le grand combat d’Arnaud Montebourg est de relancer la production française. « Un pays qui ne produit pas est dans la main des pays qui produisent. (…) [Dans le futur], les Chinois auront fait de nous leurs nouveaux esclaves ? Eh bien non ! », explique le ministre, dans le documentaire de Benjamin Carle, Made in France,diffusé en grande pompe à Bercy.
Une ambition de redynamisation du tissu industriel qu’il a tenté d’insuffler à la tête du ministère du redressement productif. L’ancien avocat a d’abord réalisé un travail de communication à destination des consommateurs, en posant en marinière en une du Parisien Magazine, où il exprimait la volonté de mettre en place des rayons de produits français dans les supermarchés, puis en réalisant une vidéo grandiloquente sur le « génie » industriel français, en écrivant un livre intitulé La Bataille du « made in France », etc. Puis M. Montebourg a annoncé la mise en place de trente-quatre plans destinés à relancer l’industrie française, en la positionnant sur des secteurs innovants.
Difficile pour le moment de juger des résultats. La campagne médiatique de M. Montebourg a eu une réelle résonance. Mais les rayons de produits français ne se sont pas généralisés, malgré les tests effectués dans certains supermarchés à Lorient ou à Lanester (Morbihan). « Est-ce que le marketing du produit, le label “made in France”, suffit à faire acheter ? Moi qui suis Breton, je peux vousdire que cela ne marche pas en Bretagne. De même, en Alsace, le “made inAlsace” est plus sexy », a ainsi expliqué Michel-Edouard Leclerc aux Echos. Impossible également de juger de l’efficacité des trente-quatre filières, dont certaines feuilles de route viennent d’être finalisées. En tout cas, selon l’Insee, la production manufacturière des trois derniers mois est inférieure à celle des mêmes mois de l’année 2013 (– 0,7 %).
Lire notre analyse : Montebourg : le « made in France » est son combat
2. Le combat pour sauver Florange
La sentence se voulait sans appel. « Nous ne voulons plus de Mittal en France »,déclare le 25 novembre 2012 le ministre du redressement productif, envisageant même une « nationalisation transitoire » des hauts-fourneaux de Florange et ainsipermettre la survie du site. Une idée inspirée par l’exemple américain pendant la crise traversée par General Motors. Selon M. Montebourg, il s’agit alors de la meilleure façon de tenir la promesse de François Hollande, qui s’était engagé pendant la campagne à sauver les deux derniers hauts-fourneaux de Lorraine.
Après plusieurs jours de bras de fer et une sérieuse brouille entre le ministre et Jean-Marc Ayrault, le premier ministre écarte l’idée de nationalisation « au vu des engagements qu’il a obtenus d’Arcelor Mittal », soit un investissement de 180 millions d’euros sur cinq ans. Seul un tiers de cette somme serait consacré à des investissements nouveaux, estiment les syndicalistes de la CFDT qui se rendent à Matignon en soupçonnant publiquement un « accord secret ». En avril 2013, les deux hauts-fourneaux sont mis sous cocon, mais 450 ouvriers sont reclassés, Mittal est toujours en France et ses engagements sont en partie tenus. Mais les derniers hauts-fourneaux ont fermé, et M. Montebourg n’a pas réussi à imposerl’idée que l’Etat devait être plus interventionniste dans ce genre de crise.
Lire notre post de blog : « Loi Florange » : retour sur deux ans de promesses
Réorienter l’Europe, une obsession pour Arnaud Montebourg. Le ministre de l’économie n’a toujours pas renoncé à la promesse de François Hollande, qui s’était engagé pendant la campagne présidentielle à renégocier le traité européen. Depuis cet échec, son ministre ambitionne encore de faire changer la politique monétaire de la Banque centrale européenne (BCE).
Selon Montebourg, l’institution, trop inflexible, est en partie responsable d’un euro trop fort, qui favorise les importations et concurrence les productions nationales. Du coup, M. Montebourg multiplie les déclarations offensives. Par exemple lors d’un débat à Sciences Po, en octobre 2013 :
« Il nous faut une banque centrale qui mène une politique monétaire à la hauteur des autres banques centrales. (…) Il nous faut un système politique qui soit efficient, qui nous permette de prendre des décisions en rapport avec les besoins des peuples européens. Aujourd’hui, qu’est-ce que nous impose la Banque centrale européenne ? Une politique budgétaire impitoyable et une politique monétaire stupide. »
Ou encore, lors d’une interview aux Echos, après sa nomination comme ministre de l’économie, où il demande des contreparties aux efforts de rigueur budgétaire de la France:
« Il serait temps que la Commission organise, stimule et relance enfin la croissance européenne. Nous sommes fondés à demander des mesures concrètes. Il faut aider les fantassins nationaux qui font l’effort de rétablir leurs comptes publics nationaux, par un appui aérien de la Banque centrale européenne (BCE). »
Pour quel résultat ? Pour le moment, la BCE n’a pas changé d’un iota sa politique monétaire. A l’issue de son conseil des gouverneurs, le 3 juillet, l’institution a laissé inchangés ses taux directeurs, un mois après les avoir abaissés à de nouveaux records. Et elle n’est pas prête de bouleverser cette stratégie. « La stabilité monétaire, la BCE s’en occupe. On a été clairs sur le fait que les taux d’intérêts resteront très bas, très proches de zéro pendant une période très longue, quels que soient les développements dans le reste du monde », a déclaré dimanche 6 juillet Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE.
Lire notre compte rendu : La charge de François Hollande contre l’euro fort
4. Alstom et le patriotisme économique
Un fleuron industriel français intéresse des industriels étrangers. Arnaud Montebourg ne peut rester discret. « L’offre n’est pas acceptable en l’état », lâche-t-il le 25 avril, lorsque General Electric fait part de son intention d’acquérir la branche énergies d’Alstom. Arnaud Montebourg affirmer vouloir faire preuve de« vigilance patriotique » et étudier des solutions différentes, notamment un rapprochement avec l’allemand Siemens, ou un « plan C », entièrement « made in France » pour le rachat de l’entreprise. Finalement, General Electric prend le contrôle opérationnel du secteur énergétique et l’Etat entre au capital, le 22 juin, en trouvant un accord pour le rachat des actions Bouygues, premier actionnaire d’Alstom. Un demi-succès pour le ministre, qui se montre très positif sur Twitter …
La réelle victoire de M. Montebourg est ailleurs. A la mi-juin, Manuel Valls signe un décret pour contrôler les investissements étrangers dans les secteurs considérés comme stratégiques. Surnommé le décret Alstom, cette nouvelle réglementation a été inspirée au premier ministre par le ministre de l’économie dont le volontarisme a eu des résultats concrets.